“Désolé, nous ne pouvons pas vous parler, c’est prendre trop de risques pour nos travaux et tout simplement pour nos emplois. On va devoir à nouveau se faire tout petit comme lors de son premier mandat.” C’était en novembre 2024, à Atlanta en Géorgie, juste après l’élection de Donald Trump. Des chercheurs de l’Atlanta center for medical research, l’équivalent de l’institut Pasteur au niveau américain, mais aussi des chercheurs en sciences politiques de l’Université Emory ou de la State University, refusaient de parler à la presse, même anonymement.
Trois mois plus tard, alors que Donald Trump est au pouvoir depuis quelques semaines, le ton a changé. Car en un mois, l’administration Trump a retoqué les programmes d’aide à l’inclusion dans les universités, réduit les financements de recherche et installé une censure des sujets de recherche financés, supprimé aussi des pages internet de recherche scientifique liées à la santé ou à des sujets jugés “gênants” par l’administration. En ligne de mire, les questions de genre, le changement climatique mais aussi, le Covid, les pesticides ou tout simplement l’égalité.
Après avoir sidéré, ces décisions nourrissent aujourd’hui un mouvement de résistance scientifique en cours d’organisation. Syndicats de chercheurs, sociétés savantes ou jeunes scientifiques lancent des appels à la mobilisation, protègent les chercheurs visés par des licenciement ou tentent de récupérer les données en voies de disparition. Un mouvement qui passe non plus par le réseau X comme c’était le cas en 2017 lors de l’organisation de la marche pour la science mais par les réseaux Bluesky ou Mastodon.
Le scénario du pire
“C’est 100 fois pire que lors de son premier mandat”, explique à France Culture Camille Parmesan, une chercheuse américaine exilée en France depuis 2018. Écologue, spécialiste de l’impact du changement climatique sur le vivant et notamment sur les papillons, Camille Parmesan, qui figure sur la liste prestigieuse des prix Nobels sur la biodiversité, est arrivée en France lors du premier mandat de Donald Trump.
En 2017, Donald Trump avait “fait ça sur le changement climatique, les financements avaient été réduits”, se souvient Camille Parmesan. “Je craignais qu’il aille plus loin et c’est exactement ce qu’il est en train de faire. Là, il tape sur tout ce qu’il peut, stoppant la recherche en agriculture ou la recherche en santé. Il veut tout simplement mettre fin à la Science parce que la science ne peut pas servir ses intérêts. Depuis la France, j’ai l’impression de vivre un film d’horreur. Alors que les États-Unis sont la première puissance scientifique mondiale, on s’oriente vers une fuite des cerveaux. Certains collègues décident en ce moment de prendre leur retraite prématurément, d’autres chercheurs cherchent où aller exercer leur métier mais le pire c’est le découragement de jeunes qui ne choisiront pas cette carrière scientifique”, s’inquiète cette chercheuse américaine qui conclut “en tout cas moi je ne vais certainement pas rentrer aux États-Unis”.
Pourtant, ce sont les jeunes chercheurs qui sont en train d’organiser un début de résistance. Début février, Colette Delawalla, chercheuse en psychologie clinicienne à l’université Emory d’Atlanta, a lancé le mouvement “Stand up for science” qui appelle à protester partout aux États-Unis le 7 mars prochain pour défendre la science.
Des jeunes chercheurs en résistance
“Il y a cette liste que le gouvernement a fait circuler et qui cite tous les thèmes qui ne recevront plus de financement de recherche”, (c’était déjà le cas lors de la première administration Trump ndlr) explique Colette Delawalla. “Deux de ces mots sont ‘femme’ et ‘féminin’ donc il est interdit aujourd’hui de mener des recherches sur la moitié de l’humanité. C’est aberrant ! Cela m’a rendue furieuse. Ensuite il y a eu cette décision de couper le financement des université de 15%. Là je me suis dit que je n’allais pas être la seule à être furieuse et j’ai décidé d’organiser une protestation physique pour montrer que ça ne doit pas passer “. C’est ainsi que tout a démarré à la mi-février. Via bluesky elle a donc rassemblé des chercheurs et scientifiques en prévoyant une manifestation, inspirée de la marche pour la science de 2017, le 7 mars prochain.
Lorsqu’on lui demande si elle a l’impression de prendre un risque, la jeune chercheuse est sans détour : “Bien sûr ! Il y a le risque académique, d’ailleurs je n’ai pas de nouvelles de mon université mais il y a surtout le risque physique et juridique pour moi et pour tous les scientifiques qui vont vouloir résister !“. Et elle ajoute : “Il y a toujours un risque à des protestations contre le fascisme et nous, les scientifiques, sommes en première ligne car la science est le premier des contre pouvoirs”.
“Stand up for science” demande la fin de la censure, la sanctuarisation des financements, la réhabilitation des chercheurs licenciés, la remise en place des programmes de diversité, d’équité et d’inclusion mais en attendant, dans les organismes de recherche, les consignes fédérales sont appliquées.
D’autres plus pragmatiques
“Si j’étais mon équipe dirigeante, je comprendrais la décision qui est de se plier aux demandes du gouvernement fédéral parce que l’on n’a pas le choix. L’autre solution, c’est qu’il nous coupe les vivres”, estime Nicolas Flagey qui vit depuis 17 ans aux États-Unis. Il est docteur en astrophysique, membre du Space Telescope Science Institute à Baltimore. Le centre qui gère notamment la mission du télescope James Web.
Pour pouvoir répondre à une interview il a dû demander l’autorisation de sa direction car une nouvelle disposition interdit aux chercheurs rattaché à un organisme de recherche fédéral de communiquer avec la presse mais aussi avec l’étranger. Les interviews audios sont donc déconseillées et sur leurs réseaux sociaux, ils doivent toujours préciser qu’ils ne parlent qu’en leur nom propre.
“Ce que j’espère“, poursuit Nicolas Flagey, “c’est que le système judiciaire américain sera suffisamment fort pour mettre au moins en pause ces ordres exécutifs (de nombreuses poursuites sont encours ndlr). Cela va forcer les gens à réaliser qu’il manque une composante de résistance qu’il va falloir l’inventer aux États-Unis”. Car dans ce pays, se syndiquer est compliqué, faire la grève encore plus. Alors l’astrophysicien précise sa pensée : “peut-être faudrait-il aussi repenser notre rapport à la société. Nous ne pouvons pas nous contenter de publier des articles scientifiques et de faire des conférences, notre objet doit être de découvrir mais aussi transmettre de la connaissance or, l’élection démocratique de Donald Trump nous montre combien nous avons échoué sur ce point”. Pour permettre une meilleure éducation scientifique, conclue-t-il, il faudra néanmoins parvenir à changer l’organisation capitaliste de la production de la science. Pour cela, il faudrait “une révolution”.
“En attendant, la tâche s’annonce très difficile pour les scientifiques” considère sociologue franco-américain Mickael Stambolis Christopher, maitre de conférence à l’université Toulouse Jean Jaurès. Car la valeur d’un scientifique et du savoir qu’il produit s’appuient sur sa neutralité, son objectivité. Or, l’administration Trump ne cesse de répondre la même chose aux critiques : “ce sont des gauchistes, ils sont contre nous !”. Dans ce contexte, les scientifiques ne peuvent pourtant plus laisser faire. Les syndicats appellent chacun à ne pas rester neutre. Les sociétés savantes entrent également en résistance pour récupérer et sauvegarder les données scientifiques que le gouvernement Trump est en train de supprimer. Enfin une petite musique se fait entendre partout dans les centre de recherche répètent tous les scientifiques : il faut se tenir les coudes, être solidaires entre chercheurs et défenseurs de la science… plus que jamais !